Trois questions à Claire Mouradian, co-commissaire de l’exposition

Que signifie la date du 24 avril fixée pour la commémoration du génocide des Arméniens ?

Si le processus du génocide a déjà commencé dans les provinces (désarmement des conscrits arméniens affectés à des bataillons de travail puis exécutés, destitution des fonctionnaires, massacres dans les villages de la zone du front caucasien), c’est dans le contexte de la bataille des Dardanelles, à la veille du débarquement des troupes franco-anglaises à Gallipoli que, le 24 avril 1915, les élites arméniennes de la capitale Constantinople (plusieurs centaines : députés, leaders politiques, journalistes, écrivains, médecins, avocats, intellectuels, marchands, etc.), sont arrêtées, déportées, puis assassinées par vagues successives. La nation arménienne est décapitée symboliquement.

 

Pouvez-vous retracer les dates clés et les grandes phases du génocide ?

Le génocide est un processus. Il s’inscrit dans la continuité des massacres de masse de l’époque hamidienne (1894-1896), puis d’Adana (1909). Sur le temps court, il se déroule dans le contexte des défaites ottomanes dans les guerres balkaniques qui ont réduit l’empire à l’Anatolie, et surtout de la Grande Guerre. L’échec cuisant de l’offensive lancée par le ministre de la Guerre, Enver Pacha, sur le front caucasien à l’hiver 1914-1915, détermine la recherche de boucs-émissaires. Vivant de part et d’autre de la frontière entre deux empires ennemis, et stigmatisés de longue date, les Arméniens sont tout désignés. Après l’exécution des soldats désarmés dès fin février 1915, puis des élites de la capitale (24 avril) et des grandes villes, commencent les massacres sur place ou les déportations de la population civile, d’abord dans les provinces orientales (printemps-été 1915), puis celles de l’ouest loin du front (été-automne 1915). Les rescapés des longues marches de la mort vers les déserts de Syrie et d’Irak y sont regroupés dans des camps de concentration, avant d’être exterminés systématiquement entre avril et décembre 1916. Une ultime phase d’éradication de la population arménienne aura lieu en 1920- 1922, lorsque les rescapés qui ont tenté de revenir dans leurs foyers avec le soutien de l’Entente victorieuse, en sont chassés par l’armée de Mustafa Kémal.

 

En 2021, quelle est l’actualité sur le génocide des Arméniens dans la recherche scientifique et la diffusion de cette histoire au grand public ?

Le centenaire de 1915 a été un point d’orgue de la recherche avec de multiples conférences, publications, expositions, documentaires, films, etc. en France et dans le monde. Parmi les travaux récents, on peut citer l’enquête de Taner Akçam sur l’authenticité des télégrammes envoyant les ordres de tuer du pouvoir, une remarquable biographie de Talaat Pacha, l’architecte du génocide, par Hans-Lukas Kieser, les ouvrages de Stefan Ihrig qui démontrent la filiation entre l’idéologie des Jeunes-Turcs et celle des nazis, des monographies locales, les nombreux récits de vie des survivants et de leurs descendants qui portent sur la mémoire et sa transmission. Des chercheurs turcs en nombre croissant entreprennent de travailler courageusement sur les différents aspects de ce sujet tabou dans leur pays (criminels, spoliations, transmission de la mémoire), sans toujours arrêter l’ardeur des négationnistes. Les reconnaissances officielles des événements de 1915 comme «génocide» contribuent aussi au progrès de la connaissance. C’est le cas en France décret du 11 avril 2019 instaurant le 24 avril comme «journée nationale» de commémoration du génocide des Arméniens, ou de la reconnaissance par le Congrès américain (12 décembre 2019).

Catalogue de l'exposition

Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman
Livret de l’exposition
52 pages (environ 45 illustrations couleurs et noir et blanc).
ISBN 978-2-916966-72-4
Prix : 13 euros
En vente à la librairie du Mémorial de la Shoah ou sur le site de la boutique en ligne

Colloque

Le colloque international organisé par Conseil scientifique international pour l’étude du génocide des Arméniens (CSI) « Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman dans la Grande Guerre. 1915-2015 : cent ans de recherche » s’est tenu à Paris, du 25 au 28 mars 2015, sous le haut patronage du président de la République, François Hollande.

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